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Les oies

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Tiki est un tout petit garçon qui n’a jamais grandi. Quand il s’ennuie il va dans le poulailler voir l’oie, sa meilleure amie qui lui avait sauvé la vie un jour de grand vent. Un soir pour l’endormir, sa maman lui avait raconté le merveilleux voyage que Nils Holgersson, un tout petit enfant comme lui, avait fait sur le dos d’une oie et Tiki s’était promis de faire la même chose.

Alors quand il fait beau, il va s’assoir sur le dos de son oie qui s’envole en le portant et ils vont se promener au-dessus de la ferme. Ils tournent un moment en l’air et il rit en voyant les paysans travailler dans les champs et les vélos rouler sur la route. Il fait de grands signes à ses amis du village qui voudraient bien être à sa place.

Mais maintenant Tiki est triste. Il est triste parce qu’il sent bien que tout le monde est inquiet dans le village. Ses parents aussi et parfois sa mère le regarde, le serre contre lui et se met à pleurer. Quand il marche dans la rue il entend les gens se plaindre. C’est à cause de la pluie. Depuis longtemps on l’attend mais elle ne veut pas tomber. Il y a plusieurs mois qu’il ne pleut pas et les champs sont secs, rien ne pousse. Comment va-t-on manger ?

Un triste jour sa mère le prend contre elle et lui dit :

- Mon enfant, mon Tiki, j’ai une chose terrible à te dire. Voilà, nous sommes très pauvres, les légumes ne veulent pas pousser, il ne reste presque rien dans le placard. Alors pour que tu puisses manger, il faut que tu partes. Il faut que tu ailles à la grande ville pour mendier. Tu es trop petit pour travailler mais il y aura surement quelques gentilles personnes qui te donneront un bout de pain.

- Mais alors, je ne vous verrai plus ? Où est-ce que je vais dormir ? Et comment je vais faire pour aller en ville ?

- Tu vas partir sur la route et tu marcheras. Tiens, je t’ai préparé un petit sac, le jour où tu partiras tu n’auras qu’à mettre dedans tout le pain qui est dans le tiroir.

Les jours suivants, Tiki n’arrête pas de pleurer. Il n’a pas envie de quitter son papa et sa maman, son amie l’oie et la ferme, mais il comprend bien qu’il faut partir s’il veut manger. Pour essayer de le consoler, l’oie l’emmène souvent voler autour de la ferme et du village qu’il doit quitter.

Un beau jour ensoleillé l’oie avec Tiki sur son dos vole tranquillement au-dessus de la mare quand ils sont rejoints par quelques oies sauvages. L’une d’elles lui adresse la parole :

- Bonjour mon amie. Nous venons du nord et nous partons pour l’Afrique pour passer l’hiver. On voudrait se reposer quelques jours, est-ce qu’on risque de trouver un chasseur par ici ?

- Non, ici vous ne risquez rien. C’est dans le village un peu plus loin qu’il y a des chasseurs. Vous pouvez vous poser ici sans crainte.

- Merci, nous allons nous arrêter ici. Mais qu’est-ce que tu as sur le dos ?

- C’est mon ami Tiki, un garçon tout petit. Il est très triste parce qu’il doit partir. Je l’emmène promener pour lui faire oublier sa peine.

Et l’amie de Tiki raconte à l’oie sauvage pourquoi il doit partir, la quitter ainsi que son papa et sa maman.

Les jours qui suivent, Tiki et son amie vont souvent voir les oies sauvages qui se reposent près de la mare. Un matin, la plus âgée des oies sauvages dit :

- Nous sommes reposées alors nous allons repartir. Quand Tiki ira à la ville, ne retournes surtout pas dans le poulailler.

- Pourquoi ?

- Parce que son papa t’attrapera et te coupera le cou.

- Oh non ! Il est très gentil, il ne le fera pas.

- Il le fera parce qu’il n’a plus rien à manger, il y sera obligé.

- C’est affreux !

- Oui. Tu devrais partir avec nous vers l’Afrique. Ça te sauvera et ça amusera Tiki. Quand tu seras fatiguée de le porter, on te remplacera.

- Oui, dit Tiki. Allons-y ! Partons avec elles.

Tiki court dans la maison, embrasse très fort son papa et sa maman, caresse le chien, remplit le sac de tout le pain qu’il peut trouver et repart en courant retrouver les oies.

- Voilà, on peut partir !

- Alors on y va. Accroche-toi bien, on va voler longtemps et tu vas voir beaucoup de choses. Ne t’endors pas, tu tomberais.

Les oies s’envolent en emportant Tiki qui s’accroche bien aux plumes. Il n’a pas oublié le sac qui lui permettra de manger pendant quelques jours. Elles volent toute la journée en se posant de temps en temps pour que Tiki change de monture. Le petit garçon, qui n’a jamais quitté son village, est fasciné par tout ce qu’il voit. Des rivières, des villes immenses, des montagnes … Il n’aurait jamais pensé que tout cela pouvait exister.

En fin d’après-midi, les oies se posent et cherchent à manger autour d’elles. Tiki mange un peu du pain de son sac mais il est tellement excité par tout ce qu’il a vu qu’il n’a pas très faim. Puis tout le monde s’installe pour passer la nuit, Tiki blotti au chaud sous l’aile de son oie.

Les oies volent ainsi plusieurs jours. Tiki est très étonné par tout ce qu’il voit et surtout par la mer, tellement grande qu’on n’en voit pas le bout. Il a un peu peur : il ne sait pas nager alors comment faire s’il faut se poser ? Puis du sable, encore du sable, à perte de vue. Que son village, avec le petit étang, les chemins, les champs de blé de son papa et les pommiers du voisin lui paraissent loin et petits !  Finalement, ils arrivent dans une campagne qui ne ressemble pas du tout à ce qu’il connait, mais au moins il y a des arbres, de l’herbe, des moutons. Tiki est soulagé et les oies sont épuisées.

Elles commencent à chercher de la nourriture et Tiki ouvre son sac. Mais il ne trouve pas grand-chose ! Il finit de manger ce qui reste puis s’endort, sans même attendre le retour de ses amies. Au réveil, il s’aperçoit qu’elles se sont couchées tout autour de lui pour le protéger des dangers de cette terre inconnue. Quand elles sont toutes réveillées, la plus âgée prend la parole :

- Nous sommes bien, ici. Je connais cet endroit, j’y reviens tous les ans, alors on peut y rester quelques jours pour se reposer. Et puis il y a suffisamment de nourriture pour quelques jours.

- Mais moi, je n’ai plus rien à manger, dit Tiki. Il faut que j’aille mendier un peu de pain dans une ville, c’est Maman qui m’a dit de le faire.

- Il y a un village pas loin d’ici. Pendant qu’on se repose tu pourras y aller. Dans quelques jours, quand nous serons reposées et prêtes à partir, nous irons te chercher au village.

Tiki part vers le village. Il est inquiet, il ne sait pas si les gens du village sont gentils et accepteront de lui donner de quoi manger. En approchant des premières maisons, il est très étonné car elles ne ressemblent pas du tout à ce qu’il connait. Elles sont rondes et il lui semble que les murs sont en terre et que le toit est fait avec de la paille. Quel drôle de village ! Et puis il voit des enfants jouer et il est encore plus surpris parce qu’ils ont la peau toute noire et sont drôlement habillés. Comme Tiki est tout petit, il peut s’approcher beaucoup des enfants en se cachant derrière des buissons. Il les regarde jouer avec une balle. Ils ont l’air très heureux et rient beaucoup.

Soudain un enfant envoie la balle près du buisson où il se cache. Tiki est un petit garçon et il aime jouer. Alors il se lève et renvoie la balle au garçon qui s’approche pour la récupérer. Celui-ci s’arrête, stupéfait, et s’écrie :

- Venez voir, j’ai trouvé un garçon comme je n’en ai jamais vu. Il est tout blanc et tout petit. Venez voir !

Les enfants se précipitent pour voir Tiki qui a très peur. Mais il voit vite qu’il n’y a pas de danger, ils sont curieux mais très gentils. Alors la partie reprend et Tiki joue avec les autres. Quand ils sont fatigués, ils se dirigent vers leurs maisons pour prendre un gouter. Celui qui a trouvé Tiki s’approche de lui.

- Mon nom c’est Mota. Et toi ?

- Tiki

- Alors, Tiki, viens avec moi.

Il entraine Tiki dans sa maison où la mère de Mota les attend. Elle demande :

- Mais qui est ce tout petit garçon ? d’où sors-tu ? Comment es-tu arrivé dans notre village ?

- Je viens de très loin, ce sont des oies qui m’ont porté jusqu’ici. Elles se reposent quelques jours et elles viendront me chercher quand elles repartiront

- Ah oui, j’ai vu un vol d’oies ce matin. Petit comme tu es, elles n’ont pas dû avoir du mal à te porter ! Pourquoi n’es-tu pas resté avec elles ?

- Parce que je n’ai plus rien à manger, mon sac est vide.

- Mon pauvre petit, alors tiens, mange ce fruit en attendant le repas. Tu resteras avec Mota jusqu’à ce que les oies viennent te chercher.

- Merci, Madame.

Tiki ressort de la case avec son ami et s’aperçoit que tous les enfants sont en train de s’assoir par terre autour d’un vieil homme. Mota prend le bras de Tiki et l’emmène s’installer avec les autres. Quelques adultes arrivent et s’assoient derrière les enfants.

- On va écouter le griot, dit Mota. Il connait plein d’histoires.

- C’est quoi, un griot ?

- C’est un monsieur qui raconte des histoires. Des fois il chante. Il n’y en a pas dans ton village ?

- Non, je n’en ai jamais vu.

- Alors qu’est-ce que vous faites quand vous êtes fatigués de jouer au ballon ?

- Rien, souvent on s’ennuie.

- C’est dommage, tu devrais demander à tes parents de faire venir un griot.

Alors le vieil homme commence à raconter une histoire. Il parle lentement, s’arrête de temps en temps, parfois il parle fort ou se met à murmurer. Tiki est fasciné par cette voix et par l’histoire. Il n’en perd pas une miette et se dit que quand il rentrera il la racontera à sa maman et peut-être aussi à ses amis du village.

Après le repas il se couche dans la case à côté de son ami et s’endort aussitôt, épuisé par tout ce qu’il a vécu dans la journée. Le lendemain, Mota lui propose d’aller dans la brousse chercher du bois pour le feu. Tiki est étonné par tous ces animaux inconnus et bizarres. Il en voit qui ont un très long cou et qui mangent les feuilles des arbres. Il y a aussi des drôles de chevaux rayés blanc et noir. Il voit aussi des espèces de chevreuils mais avec des cornes comme il n’en a jamais vu. C’est un émerveillement continu de voir toutes ces choses nouvelles.

Quand ils reviennent au village, la mère de Mota les envoie chercher de l’eau. Là aussi c’est un étonnement : il n’y a pas un puits dans la cour de chaque case, comme dans la ferme de ses parents, mais un seul puits pour tout le village et il faut attendre son tour pour pouvoir se servir. Ils profitent de cette attente pour jouer avec les autres qui sont venus chercher de l’eau. Enfin ils rentrent au village où ils vont, avec les autres enfants, écouter le maitre d’école qui leur enseigne les choses les plus importantes.

En fin d’après-midi, après avoir joué avec les autres enfants, ils vont écouter le griot qui leur raconte une nouvelle histoire. Tiki écoute cette voix avec attention pour ne rien en perdre. Le soir, avant de s’endormir, il se raconte à nouveau cette histoire parce qu’il tient à s’en souvenir pour pouvoir la raconter à sa maman. Et ainsi plusieurs jours s’écoulent avec, tous les soirs, le griot qui raconte une nouvelle histoire.

Un jour, Mota doit accompagner son papa au village voisin et Tiki reste seul. Alors il part dans la brousse pour aller retrouver les oies et voir si elles se sont bien reposées. Quand il arrive près des oies, il voit soudain un animal qui l’étonne beaucoup. C’est un chat, mais un chat énorme, bien plus gros que lui. Il n’a jamais vu un chat de cette taille aussi il se dirige tranquillement vers lui, il n’a pas peur, il sait que les chats sont gentils.

Il est un peu étonné de voir le chat se préparer à bondir comme le chat de la ferme quand il attrape une souris. Sur quoi va-t-il sauter ? A ce moment son amie l’oie se pose à côté de lui et crie :

- Monte ! Vite ! Monte sur mon dos !

Tiki saute sur le dos de l’oie qui s’envole aussitôt, juste au moment où le gros chat bondit vers eux.

- C’est un lion, il voulait te manger. Je suis arrivé à temps ! Il faut que tu fasses attention, il y a beaucoup d’animaux dangereux que tu ne connais pas et qui peuvent te faire très mal.

- Merci, tu m’as sauvé. Je ferai attention, je te le promets.

- Tu as bien fait de venir, je voulais te dire que nous sommes reposées et que nous allons repartir demain matin. Nous devons aller chercher des endroits où la nourriture est bonne et où il n’y a pas de danger. Si tu te plais dans ce village tu peux y rester, nous viendrons te chercher avant de repartir vers le nord. Si tu préfères venir avec nous, tiens-toi prêt nous partons au lever du soleil.

- Je vais rester ici, j’ai un ami qui m’a accueilli dans sa maison et si sa maman est d’accord je vais rester avec lui. Je me plais bien dans ce village.

- Alors c’est entendu, reste avec ton ami jusqu’à ce qu’on revienne.

Tiki retourne au village et va voir la maman de Mota qui lui dit :

- Tu peux rester ici autant que tu veux. Je suis contente que mon fils ait trouvé un ami aussi gentil.

- Merci Madame.

Tiki est resté au village pendant des jours et des jours, jusqu’à ce que les oies reviennent. Il a fait la connaissance de beaucoup d’animaux qu’il ne connaissait pas, certains gentils et d’autres très dangereux, il a appris à s’approcher d’eux en silence pour les observer sans les déranger. Il a appris aussi comment on vit dans ce village, où les gens s’entraident avec bonne humeur, où tout est l’occasion de chanter et de danser. Il s’est aperçu qu’il était amusant d’apprendre des choses nouvelles et s’est demandé pourquoi ça n’était pas pareil dans son école.

Surtout, il a bien écouté le griot. Tous les soirs il venait s’assoir au milieu des enfants et racontait une histoire différente, où le héros gagnait toujours grâce à son courage, sa force, sa persévérance, sa générosité, son ingéniosité… Toutes les qualités qu’on peut attendre chez un héros ont été décrites au fil des soirées dans des récits amusants qui laissaient les enfants attentifs et muets. Tiki écoutait avec passion et n’en perdait pas une miette. Il s’était promis de raconter tout ça à sa mère alors il ne fallait rien oublier. Le soir, avant de s’endormir il se répétait les histoires pour être sûr de ne rien perdre.

Au bout de quelques mois, les oies sont revenues tourner au-dessus de la place du village, il était temps de partir. Tiki embrassa son ami Mota et sa maman qui mit dans son sac des provisions pour le long voyage de retour. Il partit rejoindre les oies, le cœur serré, mais la perspective de retrouver sa maman, son papa et la ferme le consolait de quitter ce village.

Comme à l’aller, le voyage au-dessus de la mer a été long et fatigant. Les oies étaient épuisées quand elles se sont posées sur la plage à côté d’un village.

- Voilà, nous sommes enfin arrivées de ce côté de la mer. Nous avons encore du chemin à faire mais il faut d’abord se reposer quelques jours. Alors on te laisse là, va au village où tu trouveras surement des gens pour s’occuper de toi et nous passerons te prendre dans une semaine ou deux pour te ramener chez toi.

- D’accord, je vous attendrai. Mais je vois qu’il y a des enfants qui jouent sur la plage, je vais d’abord aller les voir. J’ai encore de quoi manger dans mon sac et comme il fait beau, je dormirai sur la plage.

- A bientôt, sois prudent.

Tiki prit son sac et se dirigea vers les enfants qui étaient en train de faire un grand château de sable. Ils étaient si occupés qu’aucun ne s’aperçut de son arrivée. Soudain celui qui paraissait être le chef dit :

- Ça ne va pas ! On a oublié de faire la porte dans la grande cour. Emi, toi qui es le plus petit, essaie de te mettre dans la cour sans tout casser pour faire cette porte.

- Mais je suis beaucoup trop grand, je vais démolir les murs qui entourent la cour, ce n’est pas possible !

- C’est vrai, tu as raison. Comment faire ? je crois qu’on va être obligés de tout refaire.

- Moi je peux y aller, dit Tiki. Je suis tout petit et je ne casserai rien.

- Mais qui es-tu ? Je ne t’ai jamais vu et je n’ai jamais vu un enfant aussi petit. D’où sors-tu ?

- Je ne suis pas de votre village. Je suis arrivé porté par des oies, nous venons de traverser la mer.

- Tout à l’heure j’ai vu un vol d’oies arriver au-dessus de l’eau Tu étais avec elles ? C’est vrai que petit comme tu es, elles peuvent te porter. Elles t’ont abandonné ici ?

- Non, elles vont me reprendre quand elles se seront reposées, dans quelques jours. Je m’appelle Tiki.

- Et moi Era dit le plus grand des garçons. Ça doit être bien de voler sur le dos d’une oie. Comment c’est ? Et la mer, elle est grande ? Qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté ?

- Elle est très grande, on croit qu’elle ne va jamais finir. De l’autre côté il y a des animaux très bizarres, des arbres qui ne sont pas pareils à ceux d’ici et des gens très gentils qui vivent dans des drôles de maisons.

- Raconte-nous comment sont-ils ces animaux bizarres ?

Tiki s’assied sur le sable et commence à raconter son voyage, à décrire ce que l’on voit quand on vole sur le dos d’une oie, comment ça fait quand on entre dans un nuage si épais qu’on ne voit plus rien et la surprise quand on en sort et qu’on découvre un paysage tout différent. Il parle des palmiers, du sable qui n’en finit pas, de la savane avec ses zèbres qui ressemblent à des ânes qu’on aurait peint de rayures blanches et noires, des lions qui vous guettent pour vous sauter dessus et vous manger.

Il parle ainsi pendant si longtemps devant les enfants qui ouvrent grand leurs oreilles que les parents, étonnés de ne pas les voir revenir, viennent les chercher. Surpris par ce petit bout de garçon qui sait tant de choses ils s’assoient eux aussi et se mettent à l’écouter.

- Et puis il y a le griot, continue Tiki.

- C’est quoi un griot ?

- C’est un vieux monsieur qui vient tous les jours, à la fin de l’après-midi, comme maintenant, et qui raconte une histoire merveilleuse. Tous les enfants s’assoient autour de lui, et des adultes aussi, et l’écoutent. Il y a une nouvelle histoire tous les jours.

- Tu les as écoutées ?

- Oui, tous les jours, et je me souviens de toutes

- Vas-y, raconte-nous une histoire du griot. Allez, vas-y !

Alors Tiki commence la première histoire. Il s’en souvient par cœur et il se souvient des gestes du griot, des moments où il parle tout bas ou se met à crier ou à chanter. Alors il fait comme lui et tout le monde autour de lui l’écoute avec attention. Cette histoire raconte l’histoire d’un homme qui a réussi à sauver tout son village d’un grand danger grâce à sa ténacité et son courage. Quand il a fini, tous les enfants et leurs parents applaudissent et réclament une autre histoire.

- Non, le griot ne raconte qu’une histoire par jour. Parce qu’il faut avoir le temps de réfléchir à l’histoire qu’on vient d’entendre. Si vous voulez, je vous en raconterai une autre demain soir.

- D’accord, demain, n’oublie pas de revenir !

Un des parents s’avance vers Tiki et lui dit :

- Dis-moi, est-ce que tu restes ici quelques jours ?

- Oui, une dizaine de jours. Le temps que les oies se reposent.

- Écoute mon garçon, j’aime beaucoup cette histoire et je suis sûr qu’elle va permettre aux enfants de réfléchir. Alors je te propose de revenir tous les jours raconter une histoire aux enfants et pour te remercier je te donnerai de l’argent pour mettre dans ta tirelire.

- Merci monsieur, mais ce n’est pas la peine de me donner de l’argent.

- Si, je dois le faire. C’est moi qui t’ai demandé de venir tous les soirs alors il est normal que je te donne de l’argent. Tout travail mérite salaire.

- Je suis d’accord, dit un autre parent, et moi aussi je mettrai de l’argent dans ta tirelire.

Tiki est content et très étonné. C’est la première fois qu’on va lui donner de l’argent et pour faire un travail qu’il aurait fait avec plaisir gratuitement. Il quitte les enfants en promettant de les revoir le lendemain et retourne passer la nuit avec les oies. Il mange rapidement un peu des provisions que lui avait données la maman de Mota, s’installe confortablement sous l’aile de son amie l’oie et s’endort vite, épuisé par cette journée si chargée.

Le lendemain, Tiki se dirige vers la plage pour jouer avec les enfants du village. A midi, ils s’arrêtent de jouer le temps du repas et quand ils voient que Tiki n’a pas de maison où aller manger, ils l’invitent chez eux. Puis l’après-midi se passe sur la plage avec le ballon.

Quand ils sont bien fatigués de jouer ils s’installent autour de Tiki pour écouter l’histoire qu’ils attendent depuis le matin. Des parents s’approchent et s’installent avec leurs enfants sur le sable. Tiki commence à raconter son histoire qui, cette fois, parle d’un homme qui a gagné grâce à sa générosité et cela dure jusqu’à la tombée de la nuit. Quand il a fini, tout le monde applaudit et réclame une autre histoire pour le lendemain. Enfin les parents, les enfants et Tiki quittent la plage pour aller manger.

Et pendant une dizaine de jours il raconte les histoires du griot où le héros sort toujours vainqueur grâce à une de ses nombreuses qualités. Mais un matin il va au village dire à ses amis :

- Voilà, je dois vous laisser. Les oies se sont reposées et sont prêtes à partir vers le nord. Elles vont me ramener dans ma famille.

- Oh, c’est dommage ! Tu ne peux pas rester un peu plus ?

- Non, les oies sont gentilles, elles auraient pu repartir plus tôt mais elles sont restées plus longtemps pour me faire plaisir.

- Attends un peu, je vais chercher mon père. Il veut te parler.

Tiki dit au revoir à ses amis qui sont tristes de le voir partir. Un des parents arrive et dit :

- C’est bien triste que tu partes, mais je comprends qu’il le faut. J’ai beaucoup aimé tes histoires qui montrent bien comment il faut se comporter et qui ont bien plu à tous. Tiens, prends ce sac ; j’avais dit que tu méritais un peu d’argent pour ta tirelire, alors voilà, les autres parents et moi avons réuni cette somme pour toi.

- Merci beaucoup monsieur.

- Et si l’an prochain tu repasses par ici avec tes oies, tu seras le bienvenu parmi nous.

Après bien des embrassades et des « au revoir !» un peu tristes, Tiki se décide à rejoindre les oies qui sont prêtes au départ. Il monte sur le dos de son amie l’oie, se tient bien aux plumes et dit enfin qu’il est prêt. En survolant la plage les oies volent assez bas pour que Tiki puisse faire des grands signes à ses amis.

Après deux jours de vol, tout à coup Tiki s’aperçoit qu’il reconnait le paysage, la rivière où il va parfois se baigner, le grand champ de la ferme voisine. Il voit que tout est vert, l’herbe a bien poussé, sans doute parce qu’il a bien plu pendant son absence. Il regarde bien et reconnait la petite mare, puis les champs de ses parents et enfin il aperçoit la ferme. Il est content et il rit bien fort. Il va enfin revoir son papa, sa maman et tous les animaux, il est si heureux de les retrouver après un si long voyage.

Les oies se posent près de la mare et viennent dire au revoir à Tiki et à son amie l’oie puisque leur voyage est fini. Ils se promettent de se retrouver l’année prochaine et de refaire ce voyage tous les ans. Les oies s’envolent et partent vers le nord où elles vont passer l’été. Tiki et son oie s’envolent aussi pour aller se poser dans le poulailler de la ferme.

Sitôt posés sur le sol, Tiki court dans la maison où ses parents finissent de manger. Ils sont très étonnés de voir arriver leur petit garçon qui se précipite dans les bras de sa maman et ils poussent des cris de surprise.

- Tiki, mon enfant, te voilà ? Que je suis heureuse de te voir !

- Mais tu m’as l’air en pleine forme, mon fils, dit son père. Et tu es bronzé comme en été. C’est en ville que tu as pris une aussi bonne mine ?

- Non, je ne suis pas allé en ville. Je vais vous raconter. Au lieu de partir en ville mendier de quoi manger, je suis monté sur le dos de mon oie et on est allés voler autour de la ferme. Et là on a rencontré un vol d’oies sauvages qui partaient vers l’Afrique passer l’hiver. Alors on est partis avec elles.

Tiki raconte son voyage extraordinaire à ses parents qui s’émerveillent de voir que leur enfant est si dégourdi. Puis Tiki dit à son papa :

- J’ai vu que toute la campagne est bien verte. Il a dû beaucoup pleuvoir. Alors tout va repousser et je n’aurais pas besoin de partir mendier en ville, je vais pouvoir rester à la ferme.

- Hélas mon petit, ce n’est pas possible. L’été arrive, les légumes vont pousser, le blé va lever et les fruits vont se former sur les arbres, mais ça va prendre du temps et en attendant que tout ça arrive, il faudra bien manger. Et comme nous n’avons aucune réserve, nous ne savons pas comment nous allons faire.

- C’est bien triste, dit la maman de Tiki. Ah ! Si nous avions de l’argent nous pourrions acheter de quoi vivre mais tout l’argent qu’on avait a servi à acheter le blé pour le semer dans les champs.

- Ce n’est pas un problème, dit Tiki en tendant son sac. Tenez, en voilà, de l’argent. Et il y en a beaucoup.

Tiki raconte à ses parents comment il a gagné cet argent en racontant les histoires du griot. Sa maman le serre dans ses bras et lui dit :

- C’est merveilleux ! Tu nous as sauvé. Tu vas pouvoir rester avec nous et nous pourrons tous manger en attendant la récolte. Et tout ça grâce à toi et à ton oie. Je vais aller lui faire un câlin pour la remercier de s’être occupée de toi.

- Oui, je vais pouvoir rester ici. C’est formidable. Et c’est l’été qui arrive, je vais pouvoir jouer. Et tous les soirs je vous raconterai une histoire du griot, je les ai toutes retenues. Et je pourrai les raconter à mes amis de l’école. Dis, maman, est-ce que tu crois que je pourrais devenir le griot de notre village ?

- Mais oui mon petit, c’est une très bonne idée. Tu en seras le premier griot !

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