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LA MISSION PROXIMA-B

Thème imposé : des gouffres et des sommets

Ils savaient qu’ils étaient perdus. Leur fusée filait à plus de 1000 km/h vers cette planète et les rétrofusées refusaient toujours de se déclencher. Quelques minutes, pas plus. Et le choc allait les anéantir. Arthur, le savant, qui était à l’origine de cette mission, pensait aux deux autres membres de l’expédition et leur demandait muettement pardon. Laura, la géographe et médium, avait deviné la suite : elle fermait les yeux, se bouchait les oreilles et pensait à sa maman. Adrien, en secret, se réjouissait et pensait, lui aussi à sa maman.

Depuis une décennie, bon nombre d’exo-planètes habitables avaient été découvertes et, bien sûr, tout le monde rêvait d’aller rendre visite à nos éventuels cousins. Mais c’est loin. La plus tentante, Proxima-b du Centaure, est quand même à quatre années-lumière de nous ! Avec les fusées dont nous disposons aujourd’hui, ça ferait un voyage de quelques milliers d’années. Impossible donc.

Mais un savant français, Arthur, avait alors eu un coup de génie (ou peut-être pas, ça dépendrait du sort de la mission Proxima-b). Je vais vous résumer.

Le cosmos est plein d’étoiles qu’on voit bien la nuit, en blanc sur un fond noir. Mais il y a aussi des trous noirs. Ce sont des objets très lourds que vous ne voyez pas la nuit parce qu’ils sont noirs sur un fond noir. Il y a aussi des trous de ver. Je ne sais pas trop de quelle couleur ils sont mais on ne les voit pas non plus. Ces trous de ver constituent un passage privilégié pour aller instantanément d’un point à l’autre de cet univers ou même dans un autre univers. Et c’était par là qu’Arthur voulait passer. Il fallait trouver un trou de ver qui amènerait la fusée directement quelque part, si possible sur Proxima-b.

 Mais ces trous de ver sont loin et pour y entrer il faut aller très vite. Plus vite que les fusées actuelles.

Je ne sais pas si vous avez vu ce documentaire sur l’envoi de Rosetta sur sa comète, diffusé par Arte récemment. On vous y expliquait comment, pour augmenter la vitesse de la fusée, on pouvait s’approcher d’une planète, se laisser tomber dessus et, au dernier moment, donner un petit coup de volant pour éviter la planète et garder la vitesse accrue par le chute. Mais ça n’était pas suffisant. On avait pensé à remplacer la planète par le soleil, mais ça ne suffisait toujours pas. L’idée d’Arthur était simple mais géniale, on remplacerait la planète ou le soleil par un trou noir.

Le projet Proxima-b comportait donc les phases suivantes : trouver un trou noir et un trou de ver, envoyer une fusée vers le trou noir, se diriger vers le trou de ver. Pour la suite de la mission, on suivrait l’inspiration de l’équipage.

Arthur soumit son plan au CNES, qui vit là une possibilité de montrer que la France était dans le peloton de tête de la course à l’espace. Le CNES en parla à l’ESA qui se dit que cela mettrait l’Europe en avant dans cette course. Il fut demandé au CNES d’étudier et de réaliser ce projet.

Il faut dire que le projet Proxima-b eut beaucoup de retentissement en Europe : on allait enfin visiter une planète sœur, sûrement pleine de bonnes choses à extraire et à commercialiser. Et éventuellement trouver des habitants. Ce dernier point était l’espoir des scientifiques et la hantise des commerçants : et s’ils n’étaient pas d’accord pour qu’on pille aussi leur terre ? Ce projet fit beaucoup moins de bruit en Amérique : on tombait juste sur la période du Super-Bowl. Ni en Russie : on avait omis d’inclure Poutine dans l’organigramme. En Chine on ne sait pas trop : c’est loin et personne ne parle chinois.

Il fallait donc trouver un équipage. Arthur exigeait d’être le commandant de bord. Il voyait là le couronnement d’une carrière jusqu’alors désespérément exempte de prix Nobel. Le deuxième membre de l’équipage fut choisi par un coup de chance comme il s’en produit parfois. L’équipe du CNES était en train de discuter pour imaginer une méthode permettant de repérer un trou noir et un trou de ver, problème ardu s’il en est, quand une technicienne de surface, posant son balai, prit part à la discussion.

« Je ne sais pas trop bien ce que c’est, vos trous noirs, mais d’après ce que j’entends je pense que ma voisine Laura est tout à fait capable de vous les trouver. Elle voit bien les défunts qui se promènent dans la rue. Elle est médium »

Les chercheurs du CNES sont des gens sensés. Ils savent qu’il y a encore des choses qu’on n’explique pas, comme les sourciers ou les personnes qui enlèvent le feu, alors ils se mirent à examiner cette hypothèse et convoquèrent Laura. En réalité, elle était géographe, au chômage, bien sûr. Alors elle avait décidé, pour survivre, d’utiliser le don de voyance qu’elle avait reçu de sa mère. Elle gagnait très bien sa vie, mais la perspective de mettre sur ses cartes de visite « Laura, médium agréée par le CNES et l’ESA, contacts avec les chers disparus, recherche de trous noirs, conseils amour et fortune » la réjouissait. Elle accepta donc de faire partie de l’équipage. Je dois dire que le profil de Laura arrangeait bien le CNES : envoyer une géographe vers une nouvelle planète, ça avait du sens ; envoyer un médium beaucoup moins. On ne sait pas trop ce que la presse en aurait dit.

Adrien, le troisième membre de l’équipage, avait étudié la psychologie. En vain. Alors il avait étudié, toujours en vain, la sociologie. Pour changer de registre, il avait étudié deux ou trois langues étrangère qui ne lui avait pas servi à grand-chose. Il avait accepté avec joie la proposition du CNES car il voyait là une méthode élégante et surtout non traumatisante pour sa chère maman, de mettre fin à une existence qui ne lui apportait que déboires et déconvenues.

La fusée demanda six mois pour être prête à affronter un voyage si plein d’inconnues. Pendant ce temps, l’équipage s’entrainait dur, du matin au soir. Laura avait, sans trop de peine, trouvé un bon trou noir et même un trou de ver qui semblait adéquat. Pour elle, ces entités étaient comme les fantômes qu’elle voyait couramment : des choses réelles mais invisibles au commun des mortels.

Le voyage se déroula sans problème. La fusée rebondit sur le trou noir, fila vers le trou de ver, sortit du trou de ver, se trouva en face d’une magnifique planète. Il n’y avait plus qu’à attendre la mise en marche des rétrofusées.

Et ces rétrofusées refusèrent de démarrer. Catastrophe.

La fusée, ce qui en reste, est là, éparpillée sur le sol de la planète. Avec trois corps disloqués : Arthur, Laura, Adrien. Et trois personnes bien vivantes : Arthur, Laura, Adrien.

Arthur, le premier, prit conscience de leur situation. Il voulut tendre le bras vers la Laura vivante, mais s’aperçut que ses gestes étaient saccadés. Ses mouvements n’étaient pas fluides, ils étaient constitués par la somme de petits déplacements. Il ne comprenait pas. Ni comment ils pouvaient être là, en vie, alors que leurs corps gisaient en miette près d’eux. Ni pourquoi ses mouvements, et ceux de ses amis également, étaient ainsi saccadés. Ils étaient tous les trois pétrifiés. Ils le furent encore plus quand ils virent, à côté des restes de la fusée, leur fusée entière et apparemment prête à reprendre le voyage.

Mais un savant est un savant : son cerveau ne s’arrête jamais. Il s’écria « Mais c’est le chat ! » Laura et Adrien se dirent que le choc avait eu raison de son esprit mais ils comprirent leur erreur quand il expliqua : « Le chat de Schrödinger ! Nous sommes arrivés sur une planète où la mécanique quantique marche aussi pour les objets macroscopiques. Regardez, même nos mouvements sont quantifiés. Nous sommes vivants et morts, comme le chat. »

Là, je vous dois quelques explications. Que vous pouvez sauter si vous avez suivi l’émission d’Etienne Klein, l’autre jour, sur France Culture. Figurez-vous qu’il nous a expliqué qu’avec la mécanique quantique, il y avait des choses tout à fait extraordinaires. J’ai tout compris, comme toujours avec Etienne Klein, et j’ai presque tout oublié, comme toujours. Il disait que si on mettait un chat dans une boite et qu’on s’arrangeait pour qu’il meure, eh bien on avait deux chats, un mort et un vivant. D’après lui, c’était parfaitement vérifié par l’expérience, pas sur un chat mais sur une particule. Ce que j’ai retenu c’est qu’avec cette mécanique quantique on avait chaque fois une chose et son contraire.

Nos trois cosmonautes se réjouirent : Quoi qu’il en soit, nous sommes vivants. Finalement, même Adrien semblait content de cette tournure des évènements. Pour savoir où ils étaient, ils avisèrent un sommet et entreprirent de le gravir. De là-haut, ils eurent la vision bien étrange de ce paysage : au pied de chaque sommet se trouvait un gouffre. Laura dit : « C’est vraiment une drôle de montagne, au pied de chaque sommet il y a un gouffre ! » Adrien rétorqua : « Mais ce n’est pas une montagne ! C’est une plaine percée de gouffres et à côté de chacun est un sommet »

Arthur pense : « Je suis Arthur vivant, Arthur mort est enterré. S’il était vivant, je pense que lorsque je gravis un sommet, il doit descendre dans le gouffre. Ainsi Arthur peut simultanément monter au sommet et descendre au fond du gouffre … ».

Alors ils revinrent à la fusée et entreprirent de s’enterrer eux-mêmes. Enfin, comprenons-nous, les vivants enterraient les morts. Mais en creusant les trois trous, ils virent que trois monticules se formaient à côté d’eux. Et à côté des trois tas de la terre qu’ils avaient dégagée des trous, trois cavités se formaient. Ils commençaient à trouver bien compliqué ce monde quantique mais ils n’osaient pas le formuler : après tout ils lui devaient la vie. Malheureusement, cet état ne devait pas durer. Dès que chaque vivant eut touché son homologue mort pour le mettre dans le trou, le miracle quantique prit fin. Le savant avait oublié que lorsqu’on ouvre la boite du chat il n’en reste qu’un, l’autre s’annihile instantanément.

Ainsi finit la mission Proxima-b.

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