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Marché noir

Il fallait inclure sept mots : vent, caramel, chat, grotesque, lilas, lune et découverte.

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C’est là-bas au bout de la rue. Dix heures moins cinq, j’ai un peu d’avance. Mon Dieu, pourvu que ça se passe comme il faut. Je me demande si j’ai bien fait mais, bon, maintenant c’est trop tard, je ne peux plus reculer. Pourvu qu’il soit honnête ! Que je suis bête, s’il était honnête il ne m’aurait pas donné rendez-vous à 22 h dans un endroit perdu où personne ne passe la nuit. Je suis folle d’avoir accepté. Et ce mot de passe bizarre qu’on doit échanger, pourvu que je m’en souvienne. Quelle drôle de phrase, je me demande où il est allé la chercher.

Je vois le lieu du rendez-vous : c’est tout noir. Bien sûr, il a préparé son mauvais coup ! Peut-être qu’il va me prendre l’argent et s’enfuir avant que j’ai pu crier au secours et d’ailleurs si je crie, qui viendra m’aider ? Je suis folle de m’être lancée là-dedans. Dieu tout puissant, faites qu’il ne me fasse pas mal comme cette pauvre Anne-Marie quand elle a été agressée. Trois mois sans pouvoir poser le pied par terre. Je devrais faire demi-tour. Au moins, vu mon âge, il ne me violera pas, mais j’ai peur.

Je ne peux pas faire demi-tour, c’est une question de vie ou de mort. Pas pour moi, je suis vieille et il faut bien partir un jour ! C’est pour ma petite Mina, ma petite fille, qui adore que je l’appelle Minette, comme sa chatte. Pour elle je dois le faire. Quoi qu’il puisse m’arriver, je dois le faire, ce serait trop affreux si… Je ne dois pas y penser, c’est horrible.

Je vois mieux l’endroit. C’est à un carrefour, bien sûr, comme ça il a quatre rues par où il peut s’échapper et si la police l’empêche de partir par où il veut, il aura encore trois issues possibles. C’est un malin, il doit avoir l’habitude du marché-noir. En temps de guerre il y a toujours des gens qui en  profitent.

Òªa y est, je le vois, il est là et il m’attend. Il a beau se serrer contre le mur, je le vois. Qu’est-ce qu’il a dans la main ? Un couteau ? Mon Dieu, je suis folle ! Je crois qu’il m’a vue. Il faut que j’y aille, je vais essayer de lui faire croire que je ne crains rien… Non, c’est ridicule, quand il verra qu’il a affaire à une grand-mère de 80 ans, il rigolera. Non, il n’a rien dans la main, je me suis trompée.

Moi qui suis l’honnêteté même, il a bien fallu que ce soit pour ma Mina que j’achète quelque chose au marché-noir mais on le dit bien : à la guerre comme à la guerre ! Et c’est hors de prix ! Ils en profitent, bien sûr. Et la police s’en fiche. Je me demande si ça n’arrange pas le gouvernement pour qu’ils laissent faire ça au su de tout le monde. Il n’empêche, il faudra bien que j’ai le courage de me confesser sinon je n’oserais plus entrer dans une église. Mais le Père a la réputation d’être très compréhensif alors quand je lui dirai que c’est pour Mina que j’ai fait ça, il ne dira rien. Il doit bien se rappeler d’elle, c’est lui qui l’a baptisée.

C’est bizarre, je m’attendais à un costaud, jeune et vulgaire comme les jeunes le sont souvent et on dirait qu’il n’est pas comme ça. Bon, c’est vrai que je n’ai aucune expérience dans les trafics illicites mais dans le Figaro les voyous ne ressemblent pas à ça. Je tremble un peu, ça doit être le froid. Je vais lui dire le mot de passe. Et si ce n’était pas lui ? Il va me prendre pour une folle. Mais non, c’est surement lui. Allons-y.

- Bonjour monsieur, je… euh… « le chat caramel est grotesque sous la lune Â».

- « Comme la découverte de lilas dans le vent Â». Vous avez l’argent ?

- Oui, vous avez l’objet ?

- Bien sûr, le voilà :

Il plonge la main dans sa vaste poche. Je suis sure qu’il va sortir un couteau. Je voudrais partir en criant mais j’en suis incapable. Une vague de terreur me submerge et je reste, paralysée.

- Vous ne le prenez pas ?

Je m’aperçois qu’il me tend un paquet. Pas un couteau, un paquet dont les dimensions correspondent bien à ce que je suis venue lui acheter. Je suis confuse

- Ah, oui, excusez-moi ! dis-je en prenant le paquet.

- Et l’argent ?

- Excusez-moi, je ne sais pas où j’ai la tête ! Le voici.

Il compte lentement l’argent, hoche la tête avec satisfaction et le range soigneusement dans un portemonnaie en joli cuir. Décidément, il n’a rien du jeune voyou que j’attendais.

- Vous saurez l’utiliser ? Si vous voulez je peux vous le mettre.

- Non merci, ce n’est pas pour moi.

- Si vous avez un problème, n’hésitez pas à m’appeler.

- Vous êtes bien aimable. Si j’osais… Oui, vous n’avez pas l’air d’un trafiquant, comment est-ce…

- Mais je ne suis pas un trafiquant, madame, je suis tout à fait honnête, je suis expert-comptable. C’est la première fois, et j’espère la dernière fois, que je suis contraint à ce genre d’exercice. Mais il le fallait. Figurez-vous qu’en repassant ma chemise ma femme a mis le feu à la maison. Tout a brulé.

- Je comprends, ça a dû vous couter très cher !

- Rassurez-vous, l’assurance a tout remboursé. Sauf la chemise. Elle avait 25 ans, alors pour payer la chemise, j’ai dû… Mais qu’allez-vous faire de ce masque ?

- C’est pour ma petite fille, elle doit prendre le bus alors j’ai peur du virus.

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Il(elle) a commencé à écrire à un niveau professionnel en 2000 et il(elle) ne pense pas s'arrêter de si tôt. N'hésitez pas à prendre contact si vous avez des commentaires, des questions, des suggestions ou si vous voulez simplement le(la) rencontrer. Alain Cordier se fera une joie de vous connaitre.

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